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Dans un arrêt rendu le 15 novembre 2023, la Cour de cassation rappelle que les victimes d’un produit défectueux, en l’espèce le Médiator, conservent la possibilité d’agir sur le fondement de la responsabilité civile délictuelle. Cette option peut permettre aux victimes de contourner le délai pour agir en matière de responsabilité des produits défectueux en agissant sur le terrain de la responsabilité civile délictuelle.

Médiator : responsabilité du fait des produits défectueux et délai pour agir

La responsabilité du fait des produits défectueux, prévue par une directive européenne n° 85/374/CEE du 25 juillet 1985 et introduite en droit français par une loi n° 98-389 du 19 mai 1998, facilite l’indemnisation des victimes de produits défectueux dans l’Union Européenne.

Avant l’entrée en vigueur de ce régime de responsabilité, les victimes de produits défectueux en France pouvaient engager une action sur le terrain de la responsabilité civile, soit délictuelle, soit contractuelle. Dans le premier cas, il appartenait aux victimes d’établir une faute du fabricant ou du vendeur et cette charge probatoire se révélait parfois insurmontable pour les victimes. Dans le second cas, il appartenait aux victimes de naviguer dans les subtiles théories des groupes de contrats et, à supposer qu’un responsable soit identifié, des clauses limitatives ou exonératoires de responsabilité pouvaient leur être opposées. 

Responsabilité du fait des produits défectueux et son Impact sur l'Affaire Médiator

Depuis l’entrée en vigueur de ce régime de responsabilité spécial en 1998, il suffit d’établir l’existence d’un dommage, du défaut du produit et du lien de causalité entre le défaut et le dommage pour engager la responsabilité des producteurs ou des fournisseurs de produits défectueux.

Les conditions de ce régime ne seront pas détaillées et il est fait renvoi sur ces questions aux articles du cabinet déjà parus ou à paraître ou à toute autre source autorisée.

Seule une condition doit être rappelée pour la bonne compréhension de cet article :

  • Les victimes doivent agir dans un délai de 3 ans « à compter de la date à laquelle elles ont eu ou auraient dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l’identité du producteur » (article 1245-16 du Code civil).

Ce délai est nettement plus court que le délai de droit commun qui est de 5 ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ou bien encore que le délai spécifique en matière de préjudice corporel qui est de 10 ans à compter de la consolidation du dommage. 

Ainsi, pour contourner le délai de 3 ans applicable en matière de responsabilité des produits défectueux, les victimes peuvent agir sur le fondement de la responsabilité civile délictuelle et, selon le cas d’espèce, bénéficier ainsi d’un délai pour agir de 5 ans ou de 10 ans.  

Notre article : Médiator : condamnation en appel des Laboratoires Servier au pénal

Évolution juridique et impact sur les victimes du Médiator

La Première chambre civile de la Cour de cassation a rappelé ce droit d’option favorable aux victimes dans un arrêt publié au bulletin rendu le 15 novembre 2023 (Cass. Civ. 1re, n° 22-21174).

En l’espèce, la requérante s’était vue prescrire du Médiator de 2006 à 2008 et avait présenté ultérieurement de graves lésions cardiaques déclarées imputables à la prise du Médiator par un avis rendu par l’ONIAM le 21 juillet 2015.
Une offre d’indemnisation a été faite par les laboratoires Servier le 16 octobre 2015 et a été refusée par la requérante en raison de son caractère insuffisant.

Le 7 juillet 2020, la requérante a assigné les laboratoires Servier sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux, lesquels ont opposé le délai de prescription de 3 ans applicable en la matière.

Afin de contourner ce délai bel et bien acquis, la requérante s’est alors fondée sur la responsabilité civile délictuelle de droit commun en reprochant une faute aux laboratoires Servier car, bien que connaissant la dangerosité du Médiator, ils s’étaient volontairement abstenus de toute mesure pour en suspendre la commercialisation et avaient délibérément maintenu ce produit en circulation.

Par un arrêt rendu le 7 juillet 2022, la Cour d’appel de Versailles a refusé de se fonder sur la responsabilité civile délictuelle comme cela lui été demandé et a débouté la requérante de ses demandes d’indemnisation en retenant que le délai pour agir de 3 ans applicable en matière de responsabilité des produits défectueux avait commencé à courir à la date à laquelle l’ONIAM a rendu son avis, soit le 21 juillet 2015, et qu’il était donc écoulé à la date de l’assignation, soit le 7 juillet 2020.

La Première chambre civile de la Cour de cassation censure cet arrêt de la Cour d’appel de Versailles et renvoie l’affaire devant la Cour d’appel de Paris qui devra ainsi se prononcer sur l’existence d’une faute civile des Laboratoires Servier, laquelle sera a priori très discutée compte tenu de l’enjeu.  

Il est toutefois rappelé que, dans le volet pénal de l’affaire du Médiator, la même Cour d’appel de Paris doit rendre un arrêt le 20 décembre 2023 sur appel du jugement du 29 mars 2021 par lequel les Laboratoires Servier avaient été condamnés à une amende de 2,7 millions d’euros  pour des faits de tromperie aggravée et homicides et blessures involontaires. Dès lors, si la Cour d’Appel de Paris confirme le jugement du 29 mars 2021 et retient une faute pénale à l’encontre des Laboratoires Servier, elle n’aura d’autre choix que de retenir une faute civile dans le cadre de l’affaire commentée en application du principe d’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil. À l’inverse, si aucune faute pénale n’est retenue, la Cour d’Appel de Paris retrouvera dans l’affaire commentée son pouvoir d’appréciation souverain quant à l’existence d’une faute civile des Laboratoires Servier. 

En conclusion, l’arrêt commenté apparait doublement favorable aux victimes du Médiator.

D’une part, il permet aux victimes étant hors délai pour agir sur le terrain de la responsabilité du fait des produits défectueux d’agir sur le terrain de la responsabilité civile délictuelle.

D’autre part, il offre aux victimes en cours de procédure la possibilité de se fonder à la fois sur la responsabilité du fait des produits défectueux et sur la responsabilité civile délictuelle. Ce dernier fondement pourrait prendre une ampleur considérable dans le contentieux du Médiator dans l’hypothèse où la Cour d’Appel de Paris retiendrait définitivement la responsabilité pénale des laboratoires Servier dans l’arrêt à venir du 20 décembre 2023. Dans un tel cas de figure, la responsabilité civile délictuelle serait quasiment acquise dans toutes les affaires dans lesquelles les victimes du Médiator sollicitent l’indemnisation de leurs préjudices devant les juridictions civiles. 

Le cabinet a accompagné et continue d’accompagner plusieurs victimes du Médiator afin que la responsabilité des Laboratoires Servier soit reconnue et afin d’obtenir pour chaque victime l’indemnisation la plus favorable. 

Lire la décision commentée : 

https://www.courdecassation.fr/toutes-les-actualites/2023/11/15/communique-indemnisation-des-victimes-dun-medicament-defectueux