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Par un arrêt rendu le 6 avril 2022, la Cour de cassation affine la définition de l’anormalité du dommage lorsque l’intervention a eu pour effet d’accélérer la survenance de troubles.

Lorsque l'anormalité réside dans une détérioration prématurée de la santé, l'indemnisation est limitée à la date à laquelle les troubles se seraient produits sans l'acte médical. Cet arrêt clarifie la notion d'anormalité du dommage en responsabilité médicale et établit des critères stricts pour déterminer si une indemnisation est justifiée en cas d'accélération des troubles médicaux.

L’anormalité du dommage corporel

La loi du 4 mars 2002 pose le principe selon lequel les professionnels et les établissements de santé sont responsables des conséquences dommageables des actes de prévention, de diagnostic ou de soin qu’ils prodiguent à la condition qu’ils aient commis une faute.

Lorsque cette condition n’est pas satisfaite, la victime d’un accident médical, d’une affection iatrogène ou une d’une infection nosocomiale - ou, en cas de décès, ses ayants droits – jouit d’un droit subsidiaire à indemnisation au titre de la solidarité nationale.

L'indemnisation des victimes de santé

La charge de l’aléa thérapeutique est ainsi transférée vers l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux et des affections iatrogènes (ONlAM) auquel revient le soin d’indemniser les victimes.

Si l’exigence de gravité du dommage a été précisée par le décret du 4 avril 2003 qui en retient une conception exigeante, c’est à la jurisprudence qu’est revenu le soin d’éclairer la condition d’anormalité du dommage.

En l’espèce, un patient présentant une claudication intermittente due à une courte occlusion de l’artère fémorale superficielle droite a eu recours, en 2012, à une chirurgie carotidienne.

Au cours de cette intervention, il subit une crise convulsive généralisée qui le laissahémiplégique. La responsabilité pour faute du professionnel de santé ayant été écartée, le débat s’est alors cristallisé sur l’éventuelle compétence de l’ONIAM.

Par l’arrêt rendu le 6 avril 2022, au terme d’un fructueux dialogue entre les juges judiciaire et administratif, affine la définition de l’anormalité en en retenant une approche plutôt compréhensive.

Alors que l’arrêt favorise l’accès à la solidarité nationale, il pourrait modérer aussitôt l’intérêt qu’en retireront les victimes dès lors qu’il restreint l’étendue de leur indemnisation. Il s’oppose en effet à la réparation des troubles au-delà de la date à laquelle ceux-ci auraient, en l’absence d’intervention, naturellement résulté de l’évolution prévisible de la pathologie.

Dans quel cas le dommage corporel est anormal ?

Un dommage corporel est anormal, au sens de la loi Kouchner, lorsque le patient parvient à démontrer que l’acte médical auquel il s’est soumis a eu pour lui des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l’évolution prévisible de celui-ci.

La condition d’anormalité du dommage doit alors « toujours être regardée comme remplie lorsque l’acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l’absence d’intervention ou de traitement ».

La solution inverse s’impose si les conséquences de l’acte médical sont jugées coïncider avec l’évolution spontanée de la pathologie.

Restait à appliquer cette solution à des faits présentant une spécificité sur laquelle la Cour de cassation ne s’était encore jamais prononcée. En l’espèce, les experts avaient admis que l’évolution spontanée de la pathologie vasculaire dont souffrait le patient aurait inexorablement conduit à létat de détérioration intellectuelle et de dépendance qui était le sien après l’intervention.

En somme, les troubles du patient après l’opération correspondaient à l’évolution prévisible mais à long terme de la pathologie dont il était affecté antérieurement à l’acte médical.

Pensant faire une application exacte du premier critère d’appréciation de l’anormalité, la Cour d’appel avait déduit de ces constatations que le dommage n’était pas empreint d’anormalité. Son arrêt est cassé.

En effet, les juges du fond avaient également relevé que l’hospitalisation, l’intervention et la survenue au cours de l’intervention de l’accident neurologique avaient été conjointement responsables de l’accélération du processus d’involution cérébrale liée à la démence vasculaire préexistante de l’intervention.

S’il est vrai que la détérioration intellectuelle et l’incapacité fonctionnelle connues du patient se seraient réalisées en tout état de cause, leur survenance a néanmoins été anticipée d’environ trois ans par rapport à l’évolution spontanée de la pathologie vasculaire dont il souffrait.

En jugeant que la condition d’anormalité faisait défaut, « sans prendre en compte le fait que l’intervention avait entraîné de manière prématurée la survenance des troubles » auxquels le patient était exposé, la Cour d’appel avait privé sa décision de base légale.

La Cour de cassation affine le critère principal de caractérisation de l’anormalité du dommage

Elle énonce en effet dans un attendu particulièrement didactique que « les conséquences de l’acte médical peuvent être notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie de manière suffisamment probable en l’absence de traitement si les troubles présentés, bien qu’identiques à ceux auxquels il était exposé par l’évolution prévisible de sa pathologie, sont survenus prématurément »

Après avoir ratifié cette définition affinée de l’anormalité du dommage, la Cour de cassation s’est prononcée sur l’étendue du droit à indemnisation de la victime.

Elle a ainsi l’occasion de se prononcer sur une question non discutée par le moyen unique sous-tendant le pourvoi en cassation mais à laquelle le Conseil d’État avait répondu, sur l’invitation de l’ONIAM.

Il est jugé que lorsque l’anormalité du dommage réside dans la survenance prématurée d’une dégradation de l’état de santé qui, à défaut de l’acte médical, serait survenue plus tardivement, « une indemnisation ne peut être due que jusqu’à la date à laquelle les troubles seraient apparus en l’absence de survenance de l’accident médical ».