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L’angoisse de mort imminente et les souffrances endurées

La nécessité de réparer intégralement les souffrances endurées par une victime et le développement des préjudices d’angoisse, nous amènent à nous interroger sur la place du préjudice d’angoisse de mort imminente au sein de la nomenclature des postes de préjudices corporels.

Les travaux menés depuis les attentats du 13 novembre 2015 posent la question de la reconnaissance, de la détermination et de l’indemnisation du préjudice spécifique d’angoisse des victimes directes d’actes de terrorisme.

Le préjudice d’angoisse n’a été reconnu que récemment à l’occasion de catastrophes collectives

Malgré l’indétermination de son contenu, une forme particulière du préjudice d’angoisse a vu le jour : l‘angoisse de mort imminente.

Une définition du préjudice d’angoisse de mort imminente

La Cour d’Appel d’Aix en Provence, lors d’un arrêt de 2016, a proposé une définition du préjudice d’angoisse de mort imminente comme étant « la souffrance morale et psychologique liée à la conscience d’une mort imminente » et a précisé qu’il « suppose un état de conscience et pendant un temps suffisant pour envisager sa propre fin. »

Récemment, la Cour d'Appel de Douai l’a défini comme « le préjudice résultant, pour la victime, de la douleur engendrée par la conscience du caractère inéluctable de sa mort prochaine ».

L’angoisse de mort imminente correspond donc au délai durant lequel la victime souffre et prend conscience qu’elle va décéder.

Il en résulte que pour exister et être réparable, elle doit être établie. Cela implique que la victime ait eu un état de conscience suffisant pour envisager sa propre mort ou encore qu’elle ait eu conscience de la gravité de son état et du caractère inéluctable de son décès, notamment dans les minutes qui suivent l’accident.

Néanmoins, à la différence de la Chambre Criminelle, la deuxième Chambre Civile de la Cour de Cassation refuse de réparer séparément l’angoisse de mort imminente et les souffrances endurées.

Préjudice moral lié aux souffrances psychiques et aux troubles

Elle a, en effet jugé que « le préjudice moral lié aux souffrances psychiques et aux troubles qui y sont associés étant inclus dans le poste de préjudice temporaire des souffrances endurées quelle que soit l’origine desdites souffrances, le préjudice lié à la conscience de sa mort prochaine, qualifié dans l’arrêt de préjudice d’angoisse de mort imminente, ne peut être indemnisé séparément ».

 

 

La distinction entre souffrances endurées et mort imminente n’est pas évidente.

Dans un arrêt du 11 juillet 2017, la Chambre Criminelle a jugé que la Cour d'Appel de Bastia a « souverainement apprécié le préjudice résultant des souffrances endurées par la victime et de l’angoisse de mort imminente ».

En l’espèce, les juges du fond avaient fixé à une certaine somme le préjudice résultant des souffrances endurées en y incluant l’angoisse de mort subie par la victime avant son décès en considération de la faible durée de survie celle-ci, de la sédation dont elle a bénéficié peu de temps après l’accident et du coma dans lequel elle a été rapidement plongée.

Cette indétermination de la jurisprudence est, en outre, source de confusion pour les victimes et fragilise la sécurité de leur droit à réparation selon le juge auquel elles s’adressent.

La qualification du préjudice d’angoisse de mort imminente

La nomenclature DINTILHAC précise toutefois que la prise en compte des souffrances endurées se fait « au jour de l’accident », ce qui n’exclut pas nécessairement la douleur morale subie pendant l’événement dommageable.

Par exemple, dans l’espèce soumise à la Cour d'Appel d’Aix-en-Provence, le 22 février 2018, les juges du fond ont relevé que la victime, gendarme, a été poursuivie dans la rue par l’auteur des faits, qui, après avoir tué sa collègue, lui a tiré dessus à plusieurs reprises et, alors qu’elle a tenté de se réfugier entre une voiture et un mur après une course éperdue, a été rattrapée par son agresseur qui l’a achevée de trois balles dans la tête.

C’est donc bien que l’angoisse de mort imminente peut résulter d’actes violents commis au cours de l’événement conduisant à la mort de la victime, la Cour d'Appel d’Aix-en-Provence ayant en cela relevé l’impuissance de la victime confrontée au meurtre de sa collègue et l’angoisse quelle a éprouvée « à la perspective de sa propre fin prochaine et inéluctable », ainsi que « la longueur et la continuité des scènes de violence qui se sont déroulées avant qu’elle ne décède ».

L’intégration du préjudice d’angoisse de mort imminente dans les souffrances endurées permet de surcroît, de réparer les divers aspects de ce poste de préjudice, d’autant plus que le préjudice d’angoisse s’apparente incontestablement à des souffrances morales.

La Cour d'Appel de Douai, dans son arrêt du 12 avril 2018, qualifie d’ailleurs l’angoisse de mort imminente de « souffrance psychique qui, aussi intense soit-elle, ne peut être indemnisée qu’au titre des souffrances endurées ».

Dans sa décision du 22 février 2018, la Cour d'Appel d’Aix-en-Provence a pu également préciser que la conscience pour celui qui se voit mourir de devoir envisager sa mort imminente et l’angoisse qui en résulte, n’est qu’une des composantes psychiques du préjudice des souffrances endurées du fait de l’acte criminel.

Cette solution évite donc une dispersion de la réparation des souffrances endurées par la victime entre différents postes de préjudices puisque la qualification de ce poste implique d’y regrouper, non seulement les souffrances physiques, mais aussi les souffrances morales, en ce compris l’angoisse de mort imminente.

 

L’Évaluation du préjudice d’angoisse de mort imminente

Confrontés à des demandes distinctes d’indemnisation des souffrances endurées et de l’angoisse de mort imminente, les juges du fond pourront donner et restituer aux prétentions des parties leur exacte qualification sans s’arrêter à la dénomination qu’elles auraient proposée.

S’ils peuvent dès lors, inclure dans les souffrances endurées l’angoisse de mort imminente ressentie par la victime, cela ne devrait pas conduire à une évaluation minorée du préjudice de celle-ci.

Les juges du fond disposent donc d’un pouvoir souverain pour évaluer le préjudice subi par la victime, ce qui leur confère « un rôle de référence normative » dans l’évaluation des souffrances endurées, en ce compris l’angoisse de mort imminente.

La réintégration de l’angoisse de mort imminente, nécessiterait donc que les juges majorent le montant de la somme demandée au titre des souffrances endurées (par l’ajout de celle sollicitée pour l’angoisse de mort imminente) pour que la réparation accordée soit proportionnelle au montant des indemnisations demandées au titre des souffrances endurées et de l’angoisse de mort imminente. Cela permettrait aussi de montrer aux victimes que leurs souffrances ont été reconnues.