X

Laissez nous vos coordonnées nous vous rappelons gratuitement :

Linkedin Linkedin

Accidents de trottinette électrique : application de la loi Badinter, partage de responsabilité et faible protection des utilisateurs. Analyse de 3 décisions rendues à la fin de l’année 2025.

Accidents de trottinette électrique

Depuis l'entrée en vigueur du décret n° 2019-1082 du 25 octobre 2019, les trottinettes électriques et autres engins de déplacement personnel motorisés (EDPM) sont officiellement reconnus comme des véhicules terrestres à moteur (VTM) au sens du Code de la route. Cette qualification juridique emporte des conséquences en matière d'indemnisation, notamment l'application de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, dite loi Badinter.

Trois décisions récentes rendues par les tribunaux judiciaires de Bobigny (17 septembre 2025), Marseille (21 octobre 2025) et Montpellier (7 octobre 2025) illustrent concrètement les enjeux de cette qualification et les modalités d'application du régime de responsabilité aux conducteurs de trottinettes électriques.

Le cadre juridique applicable aux EDPM

Définition et qualification

L'article R. 311-1, 6.15, du Code de la route définit l'EDPM comme « un véhicule sans place assise, conçu et construit pour le déplacement d'une seule personne et dépourvu de tout aménagement destiné au transport de marchandises, équipé d'un moteur non thermique ou d'une assistance non thermique et dont la vitesse maximale par construction est supérieure à 6 km/h et ne dépasse pas 25 km/h ».

L'article L. 110-1 du Code de la route dispose que « est considéré comme véhicule terrestre à moteur, le véhicule pourvu d'un moteur de propulsion (...) circulant sur route, par ses moyens propres ». 

La trottinette électrique répond pleinement à cette définition.

Elle est donc juridiquement qualifiée de VTM. 

Application de la loi Badinter

L'article 4 de la loi du 5 juillet 1985 énonce que « la faute commise par le conducteur du véhicule terrestre à moteur a pour effet de limiter ou d'exclure l'indemnisation des dommages qu'il a subis ». 

Le conducteur d'une trottinette électrique est donc soumis au même régime de responsabilité que les conducteurs automobiles : sa propre faute peut limiter ou exclure son droit à indemnisation.

Obligations réglementaires

En agglomération, le conducteur doit utiliser les pistes cyclables lorsqu'elles existent et peut circuler sur la chaussée si la vitesse maximale autorisée est de 50 km/h. Hors agglomération, il doit impérativement circuler sur les voies vertes et pistes cyclables. L'engin doit être équipé de freins, feux avant et arrière, klaxon et dispositifs rétro-réfléchissants. Une assurance responsabilité civile est obligatoire conformément à l'article L. 211-1 du Code des assurances.

Pour plus de détails sur les obligations réglementaires : 

Analyse de trois décisions récentes

Affaire n°1 : Tribunal judiciaire de Bobigny (17 septembre 2025)

Le 27 mai 2020, vers 1h15 du matin, Monsieur [H] [S] circulait en trottinette électrique sur la RD 190, hors agglomération. Il a été percuté par un camion, entraînant de graves blessures et l'amputation de son pied gauche. Les circonstances incluaient une nuit noire avec lampadaires non fonctionnels, la présence d'une piste cyclable séparée de la chaussée par un terre-plein, mais dans un état dégradé (faïençages, soulèvements, nids de poule).

Le tribunal a retenu une réduction de 40 % du droit à indemnisation. Il a considéré que la circulation sur la chaussée hors agglomération en présence d'une piste cyclable constituait une faute. Toutefois, le mauvais état de la piste cyclable, établi par constat d'huissier, justifiait partiellement cette imprudence. Le tribunal a souligné que les risques d'accident sur trottinette sont importants lorsque le sol est inégal, compte tenu de la petitesse des roues, et que la circulation de nuit aggravait ces risques. Néanmoins, le risque d'accident restait moins important sur la piste cyclable dégradée que sur une chaussée ouverte à la circulation.

Le tribunal a ordonné une expertise médicale et condamné solidairement MMA IARD et le conducteur du camion à verser une provision de 20 000 € à valoir sur l'indemnisation.

https://www.courdecassation.fr/decision/68cc48ea9da36895046812c6

Cette décision illustre la manière dont le juge opère un partage de responsabilité tenant compte de la gravité objective de la faute, des circonstances atténuantes et du lien de causalité. Elle confirme également la supériorité de la force probante du constat d'huissier sur les rapports d'enquête privés.

Affaire n°2 : Tribunal judiciaire de Marseille (21 octobre 2025)

Le 12 août 2019, Monsieur [C] [X] circulait en trottinette électrique à Marseille. Il a franchi un feu rouge fixe et a été percuté par un véhicule. L'accident a entraîné un déficit fonctionnel permanent de 5 % et une impossibilité de reprendre son métier d'électricien.

Le tribunal a retenu une réduction de 80 % du droit à indemnisation, ramenant l'indemnisation à 20 % des préjudices. Sur la qualification de VTM, le tribunal a jugé que même avant le décret de 2019, la trottinette électrique était pourvue d'un moteur de propulsion et circulait sur une voie routière, répondant ainsi à la définition de l'article L. 110-1 du Code de la route. Le franchissement d'un feu rouge fixe constitue une faute grave de conduite dont l'incidence sur la survenance de l'accident justifie une réduction très importante du droit à indemnisation.

Le tribunal a évalué les préjudices puis appliqué la minoration de 80 % à chaque poste, aboutissant à une indemnisation totale de 10 214,60 € au lieu de 51 073 €.

Voir le jugement : https://www.courdecassation.fr/

Cette décision confirme l'application rétroactive de la qualification de VTM et la gravité du franchissement de feu rouge. Elle illustre également la méthode de calcul en cas de minoration du droit à indemnisation, laquelle doit s’apprécier poste par poste.

Affaire n°3 : Tribunal judiciaire de Montpellier (7 octobre 2025)

Le 8 mai 2022, Monsieur [F] [N] a été victime d'un accident en trottinette électrique. Il disposait d'un contrat « Multirisque des Accidents de la Vie » souscrit auprès de BPCE IARD. L'assureur a refusé la prise en charge au motif qu’une clause d’exclusion figurant dans les conditions générales excluait les accidents de circulation impliquant un VTM dont l'assuré est conducteur.

Le tribunal a débouté intégralement la victime. Il a jugé que la clause d'exclusion ne se référait pas spécifiquement à la loi Badinter mais régissait le cas particulier du conducteur d'un VTM impliqué dans un accident de circulation. La seule capture d'écran du site de la banque, postérieure à l'accident, sur laquelle figurait une mention relative à la garantie applicable si l’utilisateur d’un vélo électrique tombait seul et se blessait ne constituait pas une présentation publicitaire permettant de déceler l'intention des parties au moment de la conclusion du contrat. Par ailleurs, un vélo à assistance électrique (VAE) n’est pas un VTM au sens des dispositions de la loi du 5 juillet 1985 car il nécessite la force musculaire pour se déplacer.

Voir le jugement : https://www.courdecassation.fr/decision/68f2af86e97b8c182997b935

Cette décision met en lumière les limites de la couverture assurantielle pour les conducteurs d'EDPM. Les contrats « Garantie Accidents de la Vie » excluent généralement les accidents de circulation impliquant un VTM dont l'assuré est conducteur et, dès lors, ne protègent pas les conducteurs de trottinettes électriques dans le cas d’un accident sans tiers responsable.

Conseils pratiques pour les victimes

En cas d'accident : appeler les secours, faire établir un constat par les forces de l'ordre, recueillir les coordonnées des témoins, photographier les lieux et conserver tous les éléments matériels. Déclarer l'accident à son assureur dans les 5 jours, consulter un médecin et obtenir un certificat médical initial détaillé. Ces constatations initiales peuvent avoir une incidence importante sur votre droit à indemnisation comme cela ressort de l’affaire n°1.

Conclusion

Les trois décisions analysées confirment que les conducteurs de trottinettes électriques sont pleinement soumis au régime de la loi Badinter. La qualification de VTM s'applique même pour les accidents antérieurs au décret de 2019. La faute du conducteur peut limiter ou exclure son droit à indemnisation selon sa gravité et son lien de causalité avec l'accident.

Cette situation apparaît en contradiction avec l'esprit protecteur de la loi de 1985. Les deux justifications historiques du traitement différencié des conducteurs ne tiennent plus pour les EDPM : leurs utilisateurs ne disposent pas d'une « enveloppe d'acier » et partagent donc la vulnérabilité des piétons, tandis que leur vitesse bridée à 25 km/h et leur légèreté minimisent le risque créé par rapport aux véhicules lourds. Face à cette iniquité, la professeure Céline MANGEMATIN a suggéré, le 30 juin 2025, lors d’un colloque à la Cour de cassation sur les 30 ans de la Loi Badinter, des évolutions jurisprudentielles pour protéger davantage les conducteurs de trottinette électrique ( https://www.youtube.com/watch?v=UDqIePbawQs ).

Le Cabinet BENAYOUN & DEWAS, spécialiste dans l'assistance des victimes de préjudice corporel, intervient régulièrement dans ce domaine, en accompagnant les victimes d'accidents de trottinette électrique dans la défense de leurs droits et en veillant à ce que le principe de réparation intégrale soit pleinement respecté.